Croix de fer (Cross of Iron) - Sam Peckinpah (1977)

Cantonnés au seul registre héroïque, les films de guerre produits durant les années 50 et 60 n'avaient pas, à de très rares exceptions, vocation à mettre en avant l'absurdité de ladite guerre, qui plus est au sortir de la Seconde guerre mondiale. L'heure n'était pas encore à la remise en cause. Combien de Dr Folamour [1] face à la cohorte de films (patriotiques), au scénario calqué sur le même schéma : une opération suicide avec son lot de stars en guise de têtes de gondole, du moins avant la fracture post-Vietnam, avec les chefs d'œuvre de Francis Ford Coppola et Michael Cimino, Apocalypse Now et Voyage au bout de l’enfer, ou encore Johnny s’en va t’en guerre de Dalton Trumbo qui traitait du premier conflit mondial. Or un autre réalisateur américain de renom, quoiqu'un peu borderline et en dehors du système (ceci expliquant sans doute cela), réalisa lui aussi un film de guerre "divergeant" : Sam Peckinpah et son méconnu Croix de fer [2].

Deux années après son raté Tueur d’élite et une overdose à la cocaïne, Peckinpah revenait au cinéma avec un nouveau sujet, s'atteler à la réalisation d'un film de guerre, adapté du roman de Willi Heinrich, La peau des hommes, ou un épisode du front de l'Est relaté du point de vue allemand. 1943, lors de la retraite de la péninsule de Kouban vers la Crimée, un officier aristocrate allemand (Maximilian Schell), se targuant d'être issu d'une grande famille prussienne, rentre en conflit avec l'un de ses sous-officiers, le sergent Steiner (James Coburn). Le capitaine Stransky, conforté par ses succès en France et son illustre extraction, convoite, quel qu'en soit le prix à payer pour ses subalternes, l'une des distinctions militaires suprêmes, la croix de fer.

Le générique de Croix de fer s'inscrit immédiatement comme un des films les plus cyniques de son auteur, à l'instar de son personnage principal le sergent Steiner. Faire cohabiter, le temps des crédits habituels, l'hymne officiel des SA, le Horst-Wessel-Lied, avec la comptine Hänschen klein en support à des images du troisième Reich annonçait déjà la couleur... en attendait-on moins de la part du réalisateur d'Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia ?

L'erreur serait toutefois de réduire ce douzième film de Peckinpah à un seul festival de cynisme, tant le monde dépeint par le cinéaste évoque avant toute chose le thème de la désillusion, incarné par des soldats engagés dans une guerre perdue d'avance. Une situation résumée avec lucidité par le colonel Brandt (James Mason) : "le soldat allemand n'a plus aucun idéal, il ne combat plus pour la culture occidentale, ni pour une forme de gouvernement de ses rêves, ni pour ce parti de merde... juste pour sa vie". A ce titre, Croix de fer peut être scindée en deux parties distinctes, avec en guise de séparation, les scènes situées à l'hôpital des blessés où se repose un temps le sergent Steiner. S'il n'en ressort pas transformé, il en découle une fatalité dramatique révélatrice, tant par ses visions hallucinatoires que par ses propos: "Il faut que je parte, que j'y retourne [...], il y a longtemps que je n'ai plus de maison [...]". Ainsi ce qui se dégage du film avant le caractère désabusé de son antihéros, c'est bien la mélancolie des personnages, symbolisée par le capitaine Kiesel (David Warner). L'acteur habitué à jouer les traîtres et autres vils personnages (Tron, C'était demain..., Twin Peaks) se voit offert par Peckinpah l'un de ses meilleurs rôles, sinon le plus touchant, un troublant contre emploi.

En dépit des problèmes de production que connut le long-métrage, le style de Peckinpah reste intact : nerveux, radical, violent, à l'image des batailles filmées caméra à l'épaule. Nihiliste, le long-métrage qui se conclut par le rire de James Coburn marque longtemps les esprits, à l'instar du générique de fin et de ses images provenant de la Shoah et de la guerre du Vietnam au son de Hänschen klein.

Cross of Iron, le film de guerre de 1977 [3].



Cross of Iron (Croix de fer) | 1977 | 132 min
Réalisation : Sam Peckinpah
Scénario : Julius J. Epstein, Walter Kelley, James Hamilton
Avec : James Coburn, Maximilian Schell, James Mason, David Warner, Klaus Löwitsch, Vadim Glowna, Roger Fritz
Musique : Ernest Gold
Directeur de la photographie : John Coquillon
____________________________________________________________________________________________________

[1] Stanley Kubrick ayant d'une certaine façon déjà essuyé les plâtres avec Les sentiers de la gloire.

[2] Film qui eut un succès relatif en Europe, mais passa totalement inaperçu aux USA... ce qui n'empêcha pas Hollywood de produire une séquelle inutile avec Richard Burton et Rod Steiger en 1979.

[3] La même année, l’anglais Richard Attenborough réalisa la superproduction Un pont trop loin qui aura au moins le mérite de mettre en lumière l’un des plus sinistres échecs de l’armée alliée... avec dans le rôle d’un officier allemand de nouveau Maximilian Schell.

8 commentaires:

  1. Dahu Clipperton08/05/2010 13:22

    Je l'ai vu il y a quelques années celui-ci, et c'est vrai que je m'étais pris une belle baffe (avec les meilleurs Peckinpah, de toute façon...^^). Il faut vraiment que je le revoie, à l'occasion.

    "Ainsi ce qui se dégage du film avant le caractère désabusé de son antihéros, c'est bien la mélancolie des personnages"

    >> Exactement ! A mon sens, c'est bien ce qui annule le supposé "cynisme intégral" de Peckinpah, blason accolé bien trop vite à ce grand cinéaste. Parce que ses personnages ont toujours un vécu, semble se traîner un poids, une profonde douleur, d'autant plus saisissants et "viscéraux" qu'on ne sait pas vraiment d'où cela vient (le passé (le passif ?) des personnages est laissé dans l'ombre, trouble dans tous les sens du terme...)

    C'était plutôt osé de sa part de se placer chez les soldats de la Wehrmacht. L'antithèse du film de guerre manichéen, pas de "bons" ou de "méchants" ici... Juste rappeler qu'il ne peut y avoir que des perdants, et que la guerre, c'est la crasse, le sang, la boue et la peur...
    D'ailleurs, je crois que Kubrick a du l'apprécier, ce film : je ne peux pas m'empêcher de penser aux scènes de combats de "Full metal jacket", en particulier dans le travail magistral sur les plans ralentis, où se mêlent la terre, le sang, les éclats de métal dans une danse visuelle mortifère, quasi picturale.

    Sinon, question nihilisme, "Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia" reste intouchable, je crois ;D

    RépondreSupprimer
  2. @ Dahu: Oui j'aurais pu d'ailleurs aussi développer le fait que Steiner est certes cynique mais pas moins apprécié de ses hommes du fait de ses qualités de chef ou tout simplement humain, telle la scène d'anniversaire ou sa relation avec le jeune soviétique... mais la mélancolie imprègne tellement le film que j'ai effectivement centré avant tout ma chro sur cet aspect.

    RépondreSupprimer
  3. Un de mes films de chevet ! Un chef-d'oeuvre de mélancolie et de violence désespérée. Un beau pamphlet sur l'absurdité de la guerre.

    RépondreSupprimer
  4. @ Viviane: oui un vrai conte de fée, ce que devrait toujours être un film de guerre, et pas seulement un film spectaculaire sans fond...

    RépondreSupprimer
  5. Excellent le lifting, Doc!

    RépondreSupprimer
  6. @ Xavier: oui et encore je vais voir si je peux pas améliorer qq couleurs, on va voir ça ;-)
    J'étais parti pour un fond gris avec des couleurs ultras classes et au dernier moment je me suis rendu compte que c'était exactement le même fond que le Golb!!! Horreur et damnation, j'ai pas suffisamment de liquidité pour devoir un droit de Copyright à Thom moi!!!! ^^

    RépondreSupprimer
  7. Soit dit en passant, je préfère ton nouveau design que celui du Golb. (et j'espère que Thom n'aura pas l'idée saugrenue de venir boire un coup dans les commentaires d'un vieux film de guerre de 1977)

    RépondreSupprimer
  8. @Xavier: je dois confesser être assez fier de ma nouvelle bannière remastérisée en fait ^^

    RépondreSupprimer