L'enfer des zombies (Zombi 2) - Lucio Fulci (1979)

Lucio Fulci, un nom connu des seuls initiés amateurs de chair sanguinolente à la recherche d'une AOC gore de qualité ? Ce serait oublier par exemple ses nombreux giallos réalisés au début des années 70. Mais la boite de Pandore fuclienne garde encore de nos jours un pouvoir de nuisance et de séduction intacte pour celui qui l'ouvrirait par mégarde (gare à l'imprudent qui découvrirait bien malgré lui le film d'aujourd'hui, un néophyte en proie prochaine à de multiples persistances rétiniennes et errements post-traumatiques [1]).

1979, L'enfer des zombies, que les producteurs ou distributeurs nommeront Zombi 2 [2], marque une date clé dans la filmographie du réalisateur romain. Premier film foncièrement gore de son auteur, annonçant la future trilogie débutée l'année suivante par Frayeurs…, cet enfer ne se résume pas à un seul concours de bidoche fraîche ou à procédé de margoulins qui voulait le faire passer comme une séquelle du Zombie de George Romero. Mais n'allons pas trop vite.
 

"Maintenant le bateau peut partir, dite le aux autres". Première phrase qui aura de lourdes répercussions par la suite… car si la sentence paraît anodine, celle-ci accompagne un geste qui l'est moins, préambule à une tragédie annoncée ? Abattre de sang-froid un corps emballé et ficelé dans un drap qui se redresse contre toute attente, voici le genre de signal qui vous indique que quelque chose ne tourne pas rond. Un émoustillant bout de cervelle plus tard, la momie emmaillotée n’est plus, abandonnant à son sort le navire précité. Le Morning Lady II, en digne héritier de son glorieux aîné le Demeter [3], débarque à son port d’attache, New-York, après une errance maritime indéterminée. Un « voilier désemparé » pour reprendre les termes d’un premier garde-côte poète à ses heures, tandis qu’un second plus prosaïque retient en premier lieu les avantages substantiels que peuvent proposer une telle découverte : "Et mais s'il est abandonné, c'est qu'il y a peut-être beaucoup d'argent à bord". La fatalité goûtant peu aux joies du pragmatisme, celle-ci étant toujours du côté des êtres sensibles (avec une préférence pour les innocents, les vierges et les poètes amateurs), l’homme de loi matérialiste connaîtra donc un funeste sort lors de la fouille du Morning Lady II... ou l'apparition d'un mort-vivant appréciant modérément qu'on puisse toucher à ses restes sans y avoir été invité. Une jugulaire policière croquée plus tard par un gras double en décomposition, le sémillant journaliste Peter West (Ian McCulloch) apprend de son supérieur la fameuse recette du bon article de presse : vous prenez un policier abandonné, un bateau sans pilote et vous brodez autour [4].


Notre héros désormais présenté, voici qu'apparaît dans la foulée Anne Bowles (Tisa Farrow), fille du propriétaire du navire fantôme. Celle-ci désireuse de connaître la vérité sur la disparition de son cher paternel, découvre par l'intermédiaire de West une lettre lui étant adressée et signée de son père. Bowles senior lui indique que, tombé gravement malade, il doit rester sur une île des Antilles nommée Matul. Une île mystérieuse et redoutée des autochtones qu'un autre couple d'occidentaux, Brian et Suzan (Al Cliver & Auretta Gay), vont aider à rejoindre en bateau. Un voyage vers l'insoutenable vérité où nous croiserons le combat improbable entre un zombie amphibie et un requin [5], une playmate en bonnet de bain et les intestins boulottés d'une bougresse maniaco-dépressive.

Quand Susan montre son matériel de plongée, Peter reste très attentif aux règles de sécurité

L’enfer des zombies n'est pas exempt de défauts, mais dépasse, à la plus grande surprise du préposé, les craintes que pouvaient susciter la méthode de margoulins citée précédemment. La photographie de Fulci reste reconnaissable au même titre que les effets sonores, outil de la terreur fulcienne. Le cinéaste tisse ainsi (très) lentement une toile où les détails notables et scènes marquantes se croisent pour le bonheur du néophyte et de l'initié: un fœtus dans un bocal dans un centre médico-légal (?!!), un plan nichon amenant nombres d'interrogations philosophiques, comportementales et sociétales (quid de la pulsion sexuelle du zombie amphibie en eaux salées [6] ou le corail peut-il être considéré comme une arme par destination valable ?), etc. Et si le gore reste l’un des premiers qualificatifs du cinéma de Lucio Fulci de cette période, les scènes apparentées à ce genre sanguinolent se font étonnamment rares dans Zombi 2. Une parcimonie cachant une volonté de proposer quelques scènes choc, diablement réussies et efficaces (effets spéciaux de Giannetto De Rossi), telle l'incontournable sortie de terre des zombies ou l'énucléation de madame Ménard. Une femme au savoir-vivre certain et aussi une maîtresse de maison qui saura mettre un point d’orgue à bien recevoir ses invités, quelque soit leur condition vitale, n’hésitant pas à proposer ses intestins à ses convives morts-vivants venus frapper à sa porte. Et bien que le film connaisse plusieurs ralentissements notables, le long-métrage attendu commençant véritablement qu’à partir du dernier tiers, Fulci réalise un des meilleurs films de zombies de cette période, évitant avec soin les pièges grand-guignolesques et bon marché que d'autres compatriotes n'hésiteront pas à user jusqu'à la corde.





Zombi 2 (L'enfer des zombies) | 1979 | 91 min
Réalisation : Lucio Fulci
Scénario : Elisa Briganti, Dardano Sacchetti
Avec : Tisa Farrow, Ian McCulloch, Richard Johnson, Al Cliver, Auretta Gay, Stefania D'Amario, Olga Karlatos
Musique : Giorgio Cascio, Fabio Frizzi, Adriano Giordanella, Maurizio Guarini
Directeur de la photographie : Sergio Salvati
Montage :Vincenzo Tomassi
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[1] L’italien pouvant éveiller des pulsions inavouables et inavouées jusque-là en sommeil… on y reviendra !

[2] L'absence du « e » de zombie pourrait être perçu comme un pied de nez aux lois de copyright…

[3] Le cinéaste s'inspirant également du roman de Bram Stocker Dracula. et de sa première adaptation (non officielle) Nosferatu.

[4] On a bien écrit des critiques de film avec ce genre de pitch (voire avec moins...). Alors pourquoi pas un article ?

[5] D’où la question qui taraudera tout bisseux qui se respecte après avoir vu la dite scène : qui du zombie ou du requin-tigre est le plus fort ? Fulci ayant la malice de ne proposer aucune réponse à cette interrogation primordiale.

[6] L’année suivante, le regretté Jean Rollin proposera dans le poignant Lac des morts-vivants une étude remarquée dont le sujet portera sur la méconnue pulsion sexuelle du zombie en eaux stagnantes.

5 commentaires:

  1. Une fois encore un papier fort plaisant, sur un film jalon de mon histoire personnelle avec le "genre".
    Je pense y aller de ma pierre à l'édifice critique dans les prochains mois, sans doute, et ne manquerai pas alors de renvoyer le lecteur vers votre prose, toujours aussi bien dosée entre humour, pédagogie et analyse.

    Le doc rules !

    NB: pour info, mon blog s'est mué de "The Hell of It" en "Abordages"...

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  2. @ Mariaque: Correction faite cher collègue praticien. Encore merci pour ces encouragements.

    Désolé de ne pas être plus présent au passage ces derniers temps, l'emménagement dans mon nouvel appart m'a pris pas mal de temps, mais je devrais être plus productif les semaines qui viennent :-D

    Et gloire à la série B ;-)

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  3. gloire à la série B comme tu dis :-)

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  4. Fulci réalise l'un des meilleurs film zombiesque cette année là l'enfer des zombie qui sera en fait zombi 2 en Italie,il aurait pu être produit par George Romero mais c'est qu'à prés zombie (le crépuscule des morts-vivants) Romero continue avec série BA toutes aussi Creepshow.
    il y'a deux version pour ce film la version sortie en chez Neo publishing en DVD collector et celle de la vhs française qui est cut j'ai même encore la vhs de l'époque distribuer chez l'édition "Lumières vidéo".

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