Esclaves de l'amour (Frauen für Zellenblock 9) - Jess Franco (1977)

Deuxième incursion du RHCS dans le monde merveilleux du film de prison pour femmes (WIP pour les intimes), Esclaves de l'amour présentées ici même marqua les esprits, et la censure, comme étant l'une des dernières collaborations [1] de la paire déviante composée par le producteur suisse Erwin C. Dietrich et le cinéaste espagnol Jesús Franco. Une association excessive dont le fil conducteur pourrait de prime abord se résumer à sinon flatter les plus bas instincts voyeuristes du spectateur, tout du moins à offrir au public sa dose d'érotisme crapoteux quotidien. Ce long métrage prénommé originellement Frauen für Zellenblock 9, et interprété par la pulpeuse Karine Gambier, l'innocente Susan Hemingway et l'inénarrable Howard Vernon ne déroge nullement a priori à la règle : des jeunes femmes nues, des tortionnaires sadiques, le tout dans une ambiance faussement malsaine et franchement fauchée, what else ?

Trois révolutionnaires menées par Karine Levere (Karine Gambier) sont arrêtées à bord de leur camion traversant la jungle sud américaine. Capturées manu militari puis emmenées sans ménagement dans une prison isolée dans la forêt tropicale, les demoiselles, une fois arrivées, sont rapidement déshabillées, et enchaînées par le cou dans la cellule numérotée 9. A l'instar de ses camarades, Karine est torturée par l'expérimenté Dr Costa (Howard Vernon) sous l'œil approbateur et carnassier de la directrice des lieux. Face à l'imagination perverse et aux techniques inhumaines déployées par ses tortionnaires, la belle cède à leurs avances sadiques, et dénonce ses compagnons de lutte. Bien décidée à les sauver, Karine doit s'évader à tout prix...

 

Avant un fade Frauen im Liebeslager (Love Camp - Camp d'amour pour mercenaires) et après une brève incartade vers la franchise nazisploitation Isla, renommée pour l'occasion dans la langue de Goethe Greta, Haus ohne Männer (Isla, The Wicked Warden - Greta, la tortionnaire de Wrede), Jesús Franco conclut sa période carcérale comme il l'avait commencée, en réadaptant plus ou moins le même scénario [2], prétexte à montrer la nudité de ses actrices et une torture en toc, avec son habituelle aptitude d'aller à l'essentiel en se débarrassant du superflu [3].

Tourné sans doute dans un jardin des plantes pour ses scènes extérieures, Frauen für Zellenblock 9 se démarque néanmoins quelque peu des précédents films par sa violence et son supposé extrémisme. Franco, secondé par l'ami Howard Vernon, excelle dans la représentation d'un sadisme boiteux via un éventail de supplices issus du meilleur abécédaire fasciste : âne espagnol, électricité, rongeur affamé et corne de rhinocéros en sus. Dépassant la misogynie inhérente au genre, si le Madrilène confirme de nouveau son intérêt pour l'œuvre Sadienne (littéralement débutée en 1968 par son adaptation de Justine mais dont les prémisses apparaissait déjà dans le séminal Le sadique Baron Von Klaus), ce dernier, à l'image de la fin (brutale) du métrage, témoigne d'un goût prononcé pour les ambiances sombres et désespérées, minimisant par la même occasion le ridicule de certaines situations.

  

Second point notable au crédit de cette Cellule 9, la qualité des cadrages, et d'une manière générale, le travail effectué par le chef opérateur Ruedi Küttel. Techniquement, ce film d'exploitation, en n'échappant pas aux défauts coutumiers (et rédhibitoires) du genre (interprétations erratiques des seconds rôles, décors et costumes « minimalistes » [4], utilisation de stock-shots et autres enregistrements sonores jusqu'à l'écœurement), s'affranchit de la marge pour offrir plusieurs scènes inspirées. La science francienne du zoom frénétique est des plus maîtrisées. Les corps et les visages filmés ne sont plus l'outil d'un simple voyeurisme unilatéral, mais au contraire au service d'une mosaïque visuelle complexe ; la fausse scène lesbienne entre les quatre prisonnières offrant un parallèle involontaire avec les thématiques chères à Brian De Palma [5].

  
Petite leçon de cadrage par Ruedi Küttel et Jesús Franco

Au-delà de ses aspects plastiques notables, Frauen für Zellenblock 9 garde néanmoins une odeur de soufre, qui va bien plus loin que le genre WIP, scandale portant le nom de la jeune actrice Susan Hemingway. La censure britannique goûta peu aux débordements franciens, quand bien même ceux-ci sont visiblement factices, bien loin de la copie parfaitement malséante et réaliste du Black Emanuelle en Amérique de Joe D'Amato. Torture, violence sexuelle, et minorité d'une des actrices principales, il n'en fallait pas plus pour interdire le film (encore aujourd'hui) au Royaume-Uni [6].

 
 Susan Hemingway ou le parfum du scandale britannique...

S'inscrivant dans la longue liste des orientations fantasmatiques convoquant Sade et le cinéma d'exploitation, Esclaves de l'amour aura perdu de son aura scandaleux trois décennies passées, et gagné son statut d'œuvre francienne exubérante portée par un malicieux Howard Vernon, une incandescente Karine Gambier et la fragile beauté onirique de Susan Hemingway.



 
 
 


Frauen für Zellenblock 9 (Esclaves de l'amour) | 1977 | 75 min
Réalisation : Jesús Franco
Production : Erwin C. Dietrich
Scénario : Jesús Franco
Avec : Karine Gambier, Howard Vernon, Susan Hemingway, Aida Gouveia, Esther Studer
Musique : Walter Baumgartner
Directeur de la photographie : Ruedi Küttel
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[1] Dernier film du duo en prenant comme référent sa sortie en salle, cette Cellule 9 ayant été tournée bien avant, mais n'allons pas trop vite...

[2] Certains personnages gardant également le même patronyme tel le Dr Costa interprété par Paul Muller dans Frauengefängnis (Femmes en cage).

[3] Psychologie et motivation des personnages par exemple.

[4] Au moins, cette fois-ci, les soldats sont en treillis et portent des casques !

[5] A l'instar de la manipulation voyeuriste d'un Body Double par exemple.

[6] La paire Franco / Dietrich ayant déjà eu plusieurs soucis avec le précédent film, Lettres d'amour d'une nonne portugaise, ou le périple d'une jeune jeune fille, toujours interprétée par Susan Hemingway, en proie cette fois-ci au sadisme de sa mère supérieure sataniste.

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